Indestructible

Au départ, un livre : L’Établi. Robert Linhart, intellectuel d’extrême-gauche, y raconte comment il est parti comme beaucoup d’autres camarades dans la période de Mai 68 travailler dans une usine Citroën à Paris, pour côtoyer des ouvriers et organiser la révolution. On y lit dans une langue à la fois exaltée et amère sadécouverte de l’usine, ses rencontres avec les ouvriers, français et immigrés, et l’échec d’un idéal : que le combat politique puisse vaincre l’épuisant fracas de la chaîne et de l’exploitation humaine qu’elle orchestre méthodiquement, dépasser les frontières de classes.

L’Établi nous est apparu comme un débris du militantisme des années 68 arrivé jusqu’à nous, cinquante ans plus tard, alors que tout a muté : lasociété et son rapport aux ouvriers et aux immigrés ; les espaces de rencontres et de luttes liant les classes populaires aux classes intellectuelles. L’industrie automobile elle- même est passée en un demi-siècle d’un rôle de premier plan dans l’histoire sociale à une ruine engorgée par la mondialisation et menaçante pour l’écologie. Les usines Renault sur l’île Seguin sont un musée. PSA, à Aulnay-sous-bois, a fermé en 2014, licenciant plus de 3000 personnes. Sur le continent africain, on trafique des pièces pour faire survivre des véhicules que le consommateur européen a déjà rejeté. Les rapports de force n’ont pas cessé, ils charrient leur Histoire avec eux.