La mouette
La Mouette fit d’abord un four en 1895, avant de remporter trois ans plus tard un succès triomphal dans la mise en scène de Stanislavski. Pour imposer une pièce alors si novatrice, il fallait en effet inventer un jeu différent, faire entendre à travers des histoires elliptiques la profondeur d’un monde tendu entre des désirs passionnés, des aspirations immenses, et l’étroitesse de la réalité, sa pesanteur mortifère. Cette Mouette s’inscrit dans le prolongement de l’Oncle Vania, que Stéphane Braunschweig a présenté à l’Odéon en 2020, et qui mettait en son cœur l’inquiétude écologique du docteur Astrov. Cette fois, c’est la pièce que fait jouer le jeune écrivain Treplev – une vision de fin du monde – qui devient le point névralgique de l'œuvre. Refoulée et moquée par les autres personnages, elle ne cessera de résonner jusqu’au dernier acte, même si ce qu’elle contient de pressentiment leur a échappé. À moins que, tel Claudius dans Hamlet, ils ne craignent de regarder ce qui les hante ? Dans cette société en sursis, celle des propriétaires terriens plus ou moins désargentés au milieu d’une Russie misérable, certains se jettent à corps perdu dans l’amour ou dans l’art, d’autres se retranchent dans le cynisme ou l’amertume, d’autres encore choisissent l’indifférence.